La loi d’oubli
Qui est l’homme ? D’où vient-il ? Ça fait longtemps qu’on se pose la question – ce qui prouve que personne n’en sait rien. Il y a dans notre passé un mur de la mémoire au-delà duquel nul ne veut se risquer…
Pourtant ces questions suffisent à bâtir toute sagesse. Savoir d’où on vient, c’est mieux comprendre où on est et déjà deviner où on va. Notre histoire oubliée peut nous éclairer sur notre véritable nature, oubliée elle aussi. Nous sommes surinformés, mais déformés. Gavés de mensonges, on avance à tâtons, sans savoir ni d’où on vient, ni où on va. « L’humanité a oublié son origine : elle est comme n’importe quel meuble, incapable de dire quelle est sa forêt originelle ! »
Telles les vagues dans la mer ou les strates sur la roche, les civilisations se suivent, inlassablement identiques, et se recouvrent les unes les autres. Nains que nous sommes, surtout nos historiens : bien malin qui verra plus loin que la civilisation précédente.
Tout se passe comme si nous étions frappés d’amnésie. Et tout indique que cette amnésie profite à certains.
Au bout du passé connu se dresse un horizon infranchissable pour notre esprit ; c’est le mur de la mémoire. Il varie selon les époques. De l’autre côté du mur, c’est le néant. L’histoire des peuples a été dévorée par la loi d’oubli.
L’horizon historique actuel s’arrête vers 900 avant J.C. qu’on écrira Jésus Christ ou Jules César, au choix, ils sont presque contemporains. Avant ? Les sauvages, la pierre taillée et les peintures sur grottes, aucun intérêt. Encore avant ? Des proches parents du singe, si l’on en croit les anthropologues, spécialistes agréés.
Réputé scientifique et donc indiscutable, leur scénario est le suivant : nous sommes un des derniers hominidés du type Homo sapiens, le dernier, un peu plus conscient que les autres, puisqu’ils nous appellent Homo sapiens sapiens, l’homme qui sait qu’il sait. Mais il se peut que ce scénario ne soit pas aussi solide qu’ils le prétendent. Tout au long des étapes évolutives, trop de chaînons manquent, trop de sauts inexplicables suggèrent trop de mutations et trop de hasards font trop bien les choses.
En un mot, c’est trop pour tout le monde, sauf pour les disciples de Darwin qui n’en ont jamais assez. Il faut les voir s’accrocher à cette thèse étroitement mécaniste qu’est l’évolution darwinienne. Leur vie semble être en jeu tant les anthropologues se crispent sur leurs chimères. On les voit se débattre tels des mouches dans un verre de lait.
Dans une tentative désespérée de faire le pont, coûte que coûte, entre le singe et nous, les néo-darwiniens nous ont trouvé des ancêtres, Homo erectus, Homo faber et quelques autres plantigrades velus. Mais en dépit de leurs efforts conjugués depuis plus d’un siècle, ce pont n’a jamais été fait. Le chaînon manquant manque encore.
Par contre, les paléo-anthropologues nous ont trouvé des cousins, les néandertaliens, qu’on prétend disparus, ce qui se discute : d’où sortent les yétis ? Et nous, d’où sortons-nous ?
D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Moi, je peux vous le dire. Je viens de chez moi, et j’y retourne. (Pierre Dac)
On nous a raconté beaucoup de bêtises, et pourtant la lumière n’a jamais cessé de briller en nous. Pourquoi l’avons-nous oubliée ? Et surtout, comment pouvons-nous retrouver notre vraie nature ? Cherche en toi.
Notre siècle a la mémoire courte. Le passé, pour nous, c’est la nostalgie d’une innocence perdue. Quelle blague ! Les innocents, c’est nous. Nos ancêtres oubliés étaient des géants dans leur corps, dans leur tête et dans leur cœur.
On nous a dit une fois pour toutes de ranger ces vieilles lunes dans le tiroir marqué mythes. Le mythe, de nos jours, c’est bidon. Qui mitonne bidonne. Nous voyons donc les mythologies comme vantardises et mensonges : elles sont pourtant la plus précieuse des mémoires.
Dans nos têtes, des souvenirs d’école se mêlent aux images des films et des BD. Tant bien que mal, ça fait notre histoire, et quelle histoire ! une galerie de portraits souvent faux, sans chronologie ni vision d’ensemble.
Une litanie de batailles qui toutes se ressemblent, à part les dates. Les dates ! Hantise du cancre et du visionnaire !
Et il y a une bonne raison pour ça. Les dates nous enferment dans le règne de la quantité. Les dates sont la grille de la logique qui émascule l’élan vital. Elles sont toutes fausses, bien entendu. Il manque des siècles, il manque des gens, il manque du temps. Oublions donc les dates une fois pour toutes. L’homme est dit-on un animal raisonnable, car seul un animal peut l’être. Pour les héros, les guerriers et les dieux, l’excès de raison tue la raison.
Notre mode de vie actuel est à rebours de la nature humaine. Ça fait des siècles que ça dure mais la pression du néant s’accentue. Quasi inemployé, notre cerveau droit s’atrophie. La clé de nos pouvoirs perdus s’efface avec lui. Il est urgent de réagir. Le bonheur n’est pas « d’avoir de l’avoir plein nos armoires. » Commençons par supprimer l’armoire à pharmacie. Pour nous soigner, il y a le guérisseur intérieur. Pourquoi l’assommer à coup de drogues ? Elles nous tuent comme elles tuent la Sécu.
De nos jours nous voyons le temps comme un phénomène linéaire, passé-présent-futur.
Le futur est inconnu, le présent trop vite passé et le passé trop vite oublié. En conformité avec notre vision du temps linéaire, nous avons inventé une science nouvelle, l’histoire. Elle est fausse, bien entendu.
L’important pour les historiens n’est pas que leur histoire soit juste, mais qu’ils soient tous d’accord entre eux. Ce qui, bien entendu, n’arrive jamais. J’aurais pu intituler ce site Une autre histoire de l’homme. Mais je ne suis pas historien, je suis conteur. Nos aventures ne font pas une histoire, mais une saga. Et quelle saga !