La réincarnation : pourquoi on a envie d’y croire

La réincarnation : pourquoi on a envie d’y croire

Les âmes traversent-elles les siècles ?

Nous sommes de plus en plus nombreux à le penser. Fantasme ou réalité, une chose est sûre : la perspective d’avoir vécu une existence précédente nous fait du bien, au point d’être parfois utilisée en thérapie.

Dans son nouveau livre, Lorsque j’étais quelqu’un d’autre, le journaliste Stéphane Allix émet l’hypothèse qu’il aurait vécu une vie antérieure dans la peau d’un soldat nazi, et enquête sur l’histoire de cet « autre moi ». Cette expérience, qui l’a bouleversé et transformé, est loin d’être unique. Beaucoup d’entre nous ont également l’impression que leur passage sur terre n’est pas le premier.

« La réincarnation est une évidence qui s’impose à moi en certains lieux, en particulier à la montagne, affirme Carole, 37 ans, chargée de communication. Des images aussi fortes que des souvenirs réels me traversent, je me visualise gardienne de chèvres, je me sens connectée à cette nature comme s’il s’agissait de mon cadre habituel, alors qu’il n’en est rien. » Pascal, 59 ans, comptable, y croit depuis ses 10 ans : « J’ai eu un petit frère décédé à la naissance. Un autre garçon est né dix-huit mois plus tard, et mon père, jusque-là chrétien pratiquant, a déclaré que cet enfant était la réincarnation du petit mort. J’ai intégré cette idée. » Lors de sa seconde grossesse, Christelle, 50 ans, monitrice d’équitation, a ressenti que son fils était une âme amicale connue autrefois. « C’était un sentiment de retrouvailles apaisant et heureux. Je précise que je suis issue d’une famille athée et que le mysticisme ne m’attire pas du tout. »

Pour échapper au néant

Sophia, documentaliste de 42 ans, hésite entre doute et certitude : « C’est une croyance qui va et vient, en pointillé. J’aime l’idée, car rien ne me semble plus atroce que le spectre du néant, d’une disparition totale. Mais dès que je commence à réfléchir sur ses conditions de possibilité, c’est une autre affaire. Comment notre personnalité, notre moi, qui résulte de notre histoire personnelle, de celle de nos parents, de nos ancêtres, pourrait-elle se promener de siècle en siècle ? De quoi cette entité nommée “âme” est-elle faite ? Comment la conscience voyagerait-elle sans enveloppe charnelle pour l’abriter ? »

Selon l’anthropologue belge Robert Deliège, spécialiste de l’Inde et auteur des Castes en Inde aujourd’hui (PUF), la réincarnation n’est, pour beaucoup d’Indiens, qu’une métaphore, une image servant à comprendre les mystères de la vie, de l’être, et non une réalité. Et certains raillent même ouvertement cette croyance. En revanche, les sondages effectués en Europe et aux États-Unis indiquent qu’elle séduit actuellement près de 20 % des Occidentaux.

Pour devenir autre

Les psychanalystes y voient l’influence des jeux vidéo, qui nous proposent de nous fondre dans des « avatars » – des personnages fictifs –, et du cinéma, qui nous incite à nous identifier à nos héros. Elle serait une parade à l’insatisfaction de n’avoir qu’une seule vie ; la possibilité d’entrer dans la peau d’un autre, dans une société qui pousse à penser que tout est possible. Elle constituerait la version adulte des jeux de rôle que nous inventons dans l’enfance.

Dans une conférence de 1994 sur le thème « Les Bouddhistes croient-ils en la réincarnation ? », le maître bouddhiste vietnamien Thich Nhat Hanh se moquait gentiment de notre rapport actuel à la réincarnation et tentait d’analyser les raisons de notre engouement. « Cette notion est populaire en Occident pour plusieurs raisons : d’abord, il est insupportable que certains individus qui nuisent aux autres par leur comportement ne souffrent pas du tout ; il faudrait donc qu’ils payent dans une autre vie le mal commis. Ensuite, l’existence terrestre est trop courte. Et on voudrait tout recommencer dans un autre corps plus sain, comme on change de vêtements. Revenir mais, cette fois, mieux armé psychologiquement, avec de meilleurs outils pour affronter les épreuves de la vie. Retrouver la jeunesse, mais avec le savoir acquis au fil des ans. Et, paradoxalement, ce qui pousse les Occidentaux à croire en la réincarnation est l’idée de l’immortalité et de la permanence de l’âme. Or le bouddhisme est au contraire une pensée de l’impermanence. Tout change constamment : le corps, les sensations, les perceptions, la conscience, l’âme. D’ailleurs, les bouddhistes n’utilisent pas le mot “réincarnation”, mais celui de “renaissance”, de “remanifestation”. Une chose amusante est que les Occidentaux trouvent plaisante l’idée de se réincarner, alors qu’en Asie on ne l’aime pas tellement : on souhaite plutôt que la roue de l’existence s’arrête. »

Et, alors que toutes les traditions et philosophies accordant une place à la réincarnation ne se soucient pas du tout de la survie de l’ego de Pierre ou de Paul, nous adorons imaginer que c’est notre individualité, telle que nous la connaissons ici et maintenant, qui voyage. De plus, en Asie, les âmes ne choisissent pas leurs rôles successifs et, sauf exception, ne se souviennent pas de leurs vies antérieures. Or, nous, Occidentaux du XXI e siècle, nous nous plaisons au contraire à rechercher des traces de nous dans d’éventuelles existences passées, pour mieux nous connaître.

D’ailleurs, au cours des dernières décennies, ont été élaborées des thérapies visant à nous replonger sous hypnose dans nos vies successives pour nous guérir de symptômes du présent. « Lors d’une séance avec une thérapeute spécialisée, j’ai retrouvé une existence où j’avais été un cow-boy chasseur de primes, un homme téméraire, désireux de venger son clan assassiné, confie Alexandra, 32 ans, éleveuse de bovins. Peut-être n’était-ce que mon imagination, mais ces scènes m’ont permis de donner un sens à mes explosions de violence, à mes conduites à risque et à mon besoin de sensations fortes, qui m’a toujours fait me sentir une étrangère au sein de ma propre famille. »

Pour réparer ses fautes

Juliette, 37 ans et dix ans d’analyse freudienne infructueuse, a cessé d’en vouloir à ses parents après avoir « compris » qu’elle avait choisi de naître dans cette famille toxique pour « réparer des fautes » de ses existences passées. Brian Weiss, psychiatre au Mount Sinaï Medical Center, à Miami, a constaté que l’hypothèse des vies antérieures permettait effectivement d’éliminer certains symptômes phobiques et états anxieux.

À la fin du XIXe siècle, alors que les penseurs européens s’initiaient aux philosophies orientales et redécouvraient la réincarnation, le philosophe Friedrich Nietzsche proposait à ses contemporains une morale de vie non plus basée sur la répression et la peur du châtiment, mais sur l’hypothèse d’un « éternel retour » : « Vis comme si ta vie devait se reproduire à l’identique, éternellement, vis de façon à ne rien regretter. » Une belle leçon de vie, pour ceux qui croient à la réincarnation comme pour ceux qui la rejettent.

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