Ne vous laissez plus manipuler !
Parents, conjoint, amis, collègues se livrent souvent au chantage affectif : ils sèment en nous le doute et le malaise, et minent l’image que nous avons de nous-mêmes. Et vous, ça ne vous arrive jamais d’en faire autant ?
Cécile Dollé
Attention, vous êtes manipulé ! D’ailleurs, nous le sommes tous. Tout comme nous manipulons les autres à notre tour, sans en avoir forcément conscience. Pourquoi ? Tout simplement pour obtenir de l’autre qu’il satisfasse nos désirs. Pour cela, la culpabilisation – ou comment rendre l’autre responsable de nos propres malaises – est idéale. Un thème d’actualité, comme en témoigne la récente parution de deux ouvrages : Le chantage affectif (InterEditions, 1998) de Susan Forward et Les manipulateurs sont parmi nous (Les Editions de l’Homme, 1997) d’Isabelle Nazare-Aga, thérapeute comportementaliste. Voici ce qu’ils nous apprennent.
Repérez les maîtres chanteurs
L’éternelle victime
Reprenons l’exemple de Noël en famille. Désirant rassembler tous les siens à cette occasion, la mère va semer le doute chez sa fille rebelle : « Tu sais, ma chérie, la famille, c’est sacré. Nous vieillissons… Des Noël tous ensemble, il n’y en aura peut-être plus beaucoup… Ton frère, lui, revient spécialement de Londres… » Un cas classique de chantage affectif, assorti d’une menace implicite : « Si tu ne viens pas, nous serons très malheureux. » La mère adopte là le comportement type de la « victime » pour obtenir de l’autre le comportement souhaité.
Susan Forward distingue quatre types de « maîtres chanteurs » :
le bourreau, qui menace de vous punir (« Si tu me quittes, tu ne verras plus les enfants ») ;
le flagellant, qui retourne la menace contre lui-même (« Si tu me quittes, je me suicide ») ;
le martyr ou l’éternelle victime, qui brandit sa souffrance (« Comment peux-tu faire cela à ta pauvre mère ? »)
le marchand de faux espoirs, qui vous fait miroiter un avenir prometteur si vous répondez à sa requête (« Si tu acceptes de monter cette affaire avec moi, tu gagneras énormément d’argent »).
Le cadeau piégé
Autre procédé courant : le faux cadeau. « Par une utilisation abusive du principe de réciprocité – par ailleurs indispensable à une bonne cohésion sociale –, le “donneur” maintient le “receveur” dans une position de débiteur. Le marché implicite est le suivant : puisque je t’ai donné ceci, j’ai le droit d’exiger en retour cela. Le problème est que le donneur choisit quand et comment le receveur doit lui rendre la monnaie de sa pièce », explique Isabelle Nazare-Aga.
Exemple : une grand-mère qui, parce qu’elle s’occupe régulièrement de ses petits-enfants, se permet de débarquer chez son fils à l’improviste, comme si elle était chez elle. « Comment lui dire non, elle est si gentille ! »
Les fausses croyances
Pourquoi est-il si difficile pour la personne manipulée de réagir sainement ? « Parce que le manipulateur utilise des croyances familiales et sociales afin d’induire chez sa victime un lourd sentiment de faute morale », explique Isabelle Nazare-Aga.
Exemples de croyances types : les enfants sont débiteurs de leurs parents (parce que ces derniers leur ont donné la vie, parce qu’ils se sont sacrifiés pour eux, etc.) ; c‘est dans le malheur que l’on reconnaît ses vrais amis…
« La culpabilité qu’instille le maître chanteur dans l’esprit de ses victimes mine l’image positive d’elles-mêmes que celles-ci cherchent à construire », explique Susan Forward. Abandon, égoïsme, injustice, trahison sont les points sensibles sur lesquels le manipulateur appuie dans l’intention de faire mal. Il procède souvent par insinuation. Il n’exprime jamais une demande claire et vous réduit à l’impuissance. Exemple : une mère malade, toussant très fort au téléphone, s’arrange pour glisser sur un ton plaintif à sa fille qu’elle ne mange plus depuis trois jours parce qu’elle n’a pas le courage de faire ses courses. Mais, surtout, elle ne demande rien…
Déjouez les pièges
Mettez-vous au clair avec vous-même
Faites un examen de conscience. Repérez les croyances sur vous-même qui vous viennent spontanément à l’esprit : je suis égoïste, ingrat, je ne suis jamais à la hauteur, je ne vaux rien…
Cessez ensuite de vous focaliser sur la situation et essayez de changer d’angle de vue pour dresser un constat objectif sur vous-même : « Est-il vrai que je suis égoïste ? Voilà tout ce que j’ai fait pour elle depuis trois ans… » ; « Est-il vrai que je ne suis pas à la hauteur ? Voilà les éléments que je peux mettre à mon actif… » Car le manipulateur se sert d’un seul acte de la personne pour la juger dans sa globalité.
Faites alors le tri de ce qui relève ou non de votre responsabilité : « Est-ce que son problème existe indépendamment de moi ou en suis-je vraiment à l’origine ? » En effet, le propre du manipulateur est de brouiller les frontières en faisant passer ses besoins avant les vôtres. « Jusqu’où puis-je répondre à sa demande tout en me respectant ? » Une fois que vous aurez évalué vos limites, vous pourrez prendre une décision claire. Deux stratégies s’offrent alors à vous : la contre-manipulation ou la confrontation.
Apprenez à contre-manipuler
Pour ne pas donner prise au manipulateur, ne cherchez surtout pas à vous justifier, car cela ne ferait que vous fragiliser encore plus. Au contraire, suggère Isabelle Nazare-Aga, simulez l’indifférence – même si vous êtes horriblement tiraillé(e) à l’intérieur ! –, et renvoyez-le à ses propres croyances à l’aide de quelques phrases types énoncées calmement :
« J’ai la conscience tranquille. »
« Tout le monde ne pense pas comme toi. »
« C’est ton opinion. »
« Je ne suis pas de cet avis. »
« Chacun ses goûts. »
« Eh oui, je ne fais rien comme tout le monde ! »
Le but : se protéger en ne réagissant pas aux provocations de votre interlocuteur.
Exemple : votre amie Marianne, seule et dépressive, vous reproche de ne pas l’avoir invitée lors de votre dernier dîner.
« Quand tu étais mal, moi, je te présentais mes amis ; toi, tu me laisses tomber.
– Ce n’est pas parce que je ne t’ai pas invitée à dîner que je te laisse tomber. Quand tu as besoin de me parler au téléphone ou de passer à la maison, je suis là.
– Oui, mais c’est le minimum que puisse faire une amie.
– Si tu n’accordes pas de valeur à ce que je t’apporte, c’est dommage. J’ai l’impression que tu exiges de moi un remboursement de ce que tu as fait pour moi.
– Non, mais, pour toi, ce n’était pas grand-chose de rajouter un couvert de plus. Pour moi, ça comptait énormément.
– Tu comptabilises avec tes critères ce que les autres doivent faire pour toi. J’en suis vraiment peinée pour toi. »
Osez la confrontation
C’est la seconde stratégie possible. Ici, il s’agit de renvoyer l’autre à son besoin, donc à sa responsabilité. Plus impliquante, la confrontation risque de vous amener à vous positionner sur la nature du lien que vous souhaitez entretenir avec celui ou celle qui vous manipule.
Exemple : vous êtes marié, père de deux jeunes enfants et passionné de foot, d’équitation ou de tennis. Malheureusement, à chaque fois que vous projetez de vous adonner à votre passion, votre femme vous tyrannise : « Tu me laisses en plan avec les enfants ! Tu imagines si je faisais comme toi ?… »
« Tout reproche exprime une demande indirecte », note Jacques Salomé, auteur de Pour ne plus vivre sur la planète Taire (Albin Michel, 1997). Il faut donc essayer d’amener l’autre à formuler son besoin. « Quand tu t’amuses sans moi, je me sens abandonnée, mal aimée. » Là, vous pouvez engager une discussion de fond sur la nature de votre relation : « Dois-je renoncer à ma passion pour te prouver mon amour ?
L’épanouissement de notre couple ne passe-t-il pas par le bien-être de chacun ? » Cela pourra également mener à une négociation sur le temps passé ensemble et séparément, le partage des tâches, etc.
Refuser la manipulation, c’est accepter de passer pour une « mauvaise fille », un « mari égoïste », un « collègue difficile ». Donc renoncer à une image idéale de soi. Vous y parviendrez en prenant conscience de votre valeur. Et cela se travaille. Vous deviendrez peut-être moins « aimable » aux yeux du manipulateur, mais, en vous libérant de ce regard extérieur, vous gagnerez un bien précieux : votre liberté.
Face à un patron tyrannique
Collègues, petits chefs, patrons… Au bureau, tout le monde manipule tout le monde. Certains résistent calmement (« Désolé, mais cette semaine, je n’ai vraiment pas le temps de traiter ce dossier supplémentaire »), tandis que d’autres cèdent sans mot dire de peur d’être licenciés. Comment parvenir à un modus vivendi avec un chef qui ne cesse de vous imposer des charges de travail supplémentaires ? « Optez pour la stratégie d’adaptation provisoire », conseille Susan Forward.
En voici les règles de base :
Ne tolérez rien qui risque de nuire à votre santé. Pas question d’accepter des demandes qui mettraient en péril votre équilibre physique ou psychique.
Gardez confiance en vous. Faites un examen de conscience et voyez si vous pouvez ou non améliorer votre façon de travailler pour répondre à la nouvelle demande. L’important est de ne pas vous laisser miner par des croyances négatives sur vous-même (« Je suis trop lent(e), je ne suis pas à la hauteur », etc.).
Envisagez des actions modestes mais susceptibles d’améliorer la situation. Au lieu de précipiter l’affrontement avec votre patron, tâtez le terrain pour clarifier votre position. Demandez-lui, par exemple, de vous expliquer concrètement comment lui ferait pour « mieux s’organiser »… Ou détournez-vous de votre comportement habituel de soumission en lui annonçant qu’en raison de projets importants prévus depuis longtemps, vous ne serez pas disponible au moment où il aura besoin de vous. Quelquefois, le pire tyran finit par céder face à une résistance déterminée. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, on force ainsi son respect.