Symbolisme des ailes
Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000)
Les ailes sont des représentations symboliques de l’âme et de l’intelligence, puisqu’elles impliquent un envol, une légèreté, une libération. Elles sont aussi un symbole de liberté, de pouvoir surnaturel, d’aventure. En effet, les ailes permettent de se dégager de la pesanteur de l’attraction terrestre, de s’élever vers le ciel, de survoler les montagnes, de se déplacer librement d’un endroit à un autre, tout en produisant un effort qui est à l’origine de leur mouvement. Le pouvoir de concentration de l’esprit qui le rend plus libre, plus élevé, est souvent représenté par les ailes. hermès-Mercure portait des ailes aux chevilles ou aux talons, pour souligner l’agilité, la rapidité, l’habileté et l’aspect aérien de son esprit.
L’immortalité est aussi souvent figurée par des ailes. On pense alors aux anges et aux archanges, les envoyés de Dieu auprès des hommes pour les servir, les aider, les guider et les éclairer.
La Tempérance, quatorzième arcane du Tarot divinatoire, porte des ailes. Elle est une représentation symbolique de la régénération et de la transformation permanente des éléments de la nature.
Le Diable, quinzième arcane du Tarot divinatoire, porte lui aussi des ailes, car il s’agir d’un ange déchu. Mais ce sont les ailes d’un animal préhistorique, pas celles d’un oiseau. Il s’agit là d’une représentation symbolique des désirs et des passions qui condamnent l’âme à être prisonnière et dépendante des biens de ce monde.
Dans le sixième arcane du Tarot divinatoire, l’Amoureux, un chérubin survolant trois personnages, et prêt à décocher se flèche sur eux, porte les ailes de l’amour.
Les ailes figurent ainsi parfois l’expression ou la manifestation d’un sentiment unique, privilégié, absolu qui est ressenti comme un enchantement.
Pour Jean Chevalier et Alain Gheerbrant qui ont dirigé la rédaction du Dictionnaire des symboles (1969, édition revue et corrigée 1982),
« Les ailes sont avant tout un symbole d’envol, c’est-à-dire d’allègement, de dématérialisation, de libération – qu’elle soit de l’âme ou de l’esprit – de passage au corps subtil. Les traditions extrême-orientales, chamanistiques de l’Est ou de l’Ouest et de l’Occident, qu’il soit musulman ou judéo-chrétien, ne diffèrent pas sur ce thème : car l’envol de l’âme et celui du chaman sont tous deux même aventure, en ce qu’il sous-entend l’affranchissement de la pesanteur terrestre : ce que l’ésotérisme alchimique exprimait par l’image de l’aigle dévorant le lion. Dans toute tradition les ailes ne se prennent pas, elles se conquièrent, au prix d’une éducation initiatique et purificatoire souvent longue et périlleuse. Là encore peuvent se comparer les récits des chamans, ceux des grands mystiques chrétiens ou soufis, et de nombreux contes allégoriques parmi les premiers desquels il faudrait citer ceux d’Andersen. Contrairement à une idée reçue les ailes du saint en prière ne sont pas qu’une vision spirituelle, comme l’atteste la croyance à la lévitation.
La légèreté et le pouvoir de voler sont le propre des Immortels taoïstes, qui peuvent ainsi atteindre les Îles des Immortels. L’étymologie même des caractères qui les désignent fait apparaître le pouvoir de s’élever dans les airs. La diététique qui leur est particulière leur fait pousser sur le corps du duvet, ou des plumes. Leurs mœurs s’apparentent parfois à celles des oiseaux.
L’envol s’applique universellement à l’âme dans son aspiration à l’état supra-individuel. L’envol, la sortie du corps, se fait par la couronne de la tête, selon un symbolisme que nous examinons à propos du dôme. Semblablement, le Taoïsme envisage l’envol du corps subtil, qui n’est autre que l’Embryon de l’immortel.
Les ailes indiquent encore la faculté connaissante : celui qui comprend a des ailes, précise un Brâhmana. Et le Rig Veda : L’Intelligence est le plus rapide des oiseaux. C’est d’ailleurs pourquoi les anges, réalités ou symboles d’états spirituels, sont ailés.
Tout naturellement encore, l’aile, les plumes sont en rapport avec l’élément Air, élément subtil par excellence. Et c’est à l’aide de ses bras garnis de plumes que l’architecte céleste Vishvakarmâ, comme avec un soufflet de forge, réalisa son œuvre de démiurge.
Dans la tradition chrétienne, les ailes signifient le mouvement aérien, léger, et symbolisent le pneuma, l’esprit. Dans la Bible, elles sont un symbole constant de la spiritualité, ou de la spiritualisation, des êtres qui en sont pourvus, qu’ils soient à figure humaine ou de forme animale. Elles concernent la divinité et tout ce qui peut se rapprocher d’elle à la suite d’une transfiguration ; par exemple, les anges et l’âme humaine. Quand il est parlé d’ailes à propos d’un oiseau, il s’agit le plus souvent du symbole de la colombe qui signifie l’Esprit Saint. L’âme elle-même, du fait de sa spiritualisation, possède des ailes de colombe au sens donné par le Psaume (54, 7) : Qui me donnera des ailes de colombe, je volerai et je me reposerai. Posséder des ailes c’est donc quitter le terrestre pour accéder au céleste.
Ce thème des ailes, qui est d’origine platonicienne (Phèdre, 246), est constamment exploité par les Pères de l’Eglise et les mystiques. Il est parlé des ailes de Dieu dans l’Ecriture Sainte. Elles désignent sa puissance, sa béatitude et son incorruptibilité. Tu me protégeras à l’ombre de tes ailes (Psaume 16, 8). Tu mettras ton espoir dans ses ailes (Psaume, 35, 8). Selon Grégoire de Nysse, ni Dieu, l’archétype, est ailé, l’âme créée à son image possède ses propres ailes. Si elle les a perdues pare la faute d’origine, il lui est possible de les recouvrer, et cela au rythme même de sa transfiguration. Que l’homme s’éloigne de Dieu, il perd ses ailes ; qu’il s’en rapproche, il en est de nouveau pourvu. Dans la mesure où l’âme est ailée, elle monte plus haut, et le ciel vers lequel elle se dirige est comparable à un abîme sans fond. Elle peut toujours monter, car elle est incapable de l’atteindre dans sa plénitude. Ainsi que la roue, l’aile est un symbole habituel du déplacement, de l’affranchissement des conditions de lieu, et de l’entrée dans l’état spirituel qui lui est corrélatif.
Les ailes exprimeront donc en général une élévation vers le sublime, un élan pour transcender la condition humaine. Elles constituent l’attribut le plus caractéristique de l’être divinisé et de son accession aux régions ouraniennes. L’adjonction d’ailes à certaines figures transforme les symboles. Par exemple,le serpent, de signe de perversion de l’esprit, devient, s’il est ailée, symbole de spiritualisation, de divinité.
Les ailes indiquent, avec la sublimation, une libération et une victoire : elles vont aux héros qui tuent les monstres, les animaux fabuleux, féroces ou répugnants.
On sait qu’Hermès (Mercure) portait des ailes aux talons. Gaston Bachelard voit dans le talon dynamisé le symbole du voyageur nocturne, c’est-à-dire des rêves de voyage. Cette image dynamique vécue est beaucoup plus significative dans la réalité onirique que les ailes attachées aux omoplates. Souvent le rêve des ailes battantes n’est qu’un rêve de chute. On se défend contre le vertige en agitant les bras et cette dynamique peut susciter des ailes sur l’épaule. Mais le vol onirique naturel, le vol positif qui est notre oeuvre nocturne, n’est pas un vol rythmé, il a la continuité et l’histoire d’un élan, il est la création rapide d’un instant dynamisé. Et l’auteur compare ces ailes au talon aux chaussures, dites pieds légers, de saints bouddhistes voyageant dans les airs ; aux souliers volants des contes populaires ; aux bottes de sept lieues… C’est au pied que résident pour l’homme rêvant les forces volantes… Nous nous permettrons donc dans nos recherches de métapoétique, conclut Bachelard, de désigner ces ailes au talon sous le noms d’ailes oniriques. L’aile, symbole de dynamisme, l’emporte ici sur le symbole de la spiritualisation ; attachée au pied, elle n’implique pas nécessairement une idée de sublimation, mais de libération de nos forces créatives les plus importantes : le poète, comme le prophète a des ailes lorsqu’il est inspiré. »