Tout est comme il doit être… n’est-ce pas ?

ange et piedestal

« Cela devait arriver »…. « Il doit y avoir un but plus profond derrière cela »…. « Tout est exactement comme il doit être »… Ce sont des remarques fréquemment entendues chez ceux qui s’intéressent au spirituel. Souvent, de telles affirmations sont dites face à des situations ou des événements qui peuvent sembler insensés, tragiques, ou cruels. Il est vrai que les accidents, les maladies et les gros coups durs mettent à l’épreuve notre sens de la justice. Pourquoi cela m’arrive à moi ? Pourquoi cela devait-il arriver ? Il est rassurant de se dire que derrière tout ce qui arrive il y a un ordre divin, une main divine bienveillante. Mais cela est-il vrai ?

L’idée que tout se déroule comme cela est sensé se dérouler est une croyance déterministe : cela implique qu’il existe un pouvoir supérieur qui prédétermine les événements qui vont se dérouler dans nos vies terrestres. Ce pouvoir supérieur peut être Dieu, ou notre âme, ou notre soi profond. Quel qu’il soit, ce pouvoir créateur appartient non pas à nous mais à cette source supérieure. Cette croyance met en question l’idée que l’être humain a un libre arbitre et la possibilité de faire des choix indépendants.

Ainsi, il existe un paradoxe : depuis une vision spirituelle du monde, la plupart des gens estiment que le pouvoir de faire des choix et de prendre la responsabilité de leurs vies fait partie intégrante de leur essence. Sans ce pouvoir-là, la notion même de croissance personnelle ou de transformation serait obsolète. D’un autre côté, il y a cette affirmation, telle une invocation, que « tout est comme il doit être », ou comme diraient d’autres, que « le Plan est parfait ».

Cette « bonne nouvelle » que tout ce qui nous arrive devait arriver, m’agace autant qu’elle m’émerveille. Tout d’abord parce qu’il existe des souffrances massives sur terre. Il suffit de jeter un œil dans n’importe quel journal, n’importe quel jour, pour le savoir. Il y a une souffrance intense au niveau physique, émotionnel et spirituel, chez grand nombre d’êtres humains, ainsi que dans la nature. Face à ce constat comment peut-on dire que tout est à sa place ?!

De plus, comme je l’ai déjà évoqué, il y a ce paradoxe du libre arbitre et de la prédestination, qui ne sont pas compatibles. Il peut être utile de prendre cela en compte lorsque l’on est tenté d’évoquer le fait que tout est à sa place et se déroule selon l’ordre divin. Par ailleurs, j’ai remarqué que ce type d’affirmation s’accompagne souvent d’un petit air de pitié, une sorte de condescendance spirituelle, qui évoque quelque chose du genre : « Ah, mon enfant, je vois que tu ne comprends pas encore, absorbé comme tu l’es dans tes doutes et tes émotions bien trop humaines. Mais il y a en effet un sens plus élevé derrière tout ce qui t’arrive, et un jour toi aussi tu le comprendras ».

Les gens sont souvent bienveillants, j’en suis certaine, mais néanmoins…

En 2010, j’ai vécu une dépression sévère avec des passages psychotiques. J’étais à peine remise de cette terrible expérience lorsque quelqu’un m’a dit : « il semble évident que tu devais traverser tout cela, et que le but était de te permettre d’apporter de l’aide à des gens qui souffrent de troubles similaires ». Je n’ai pas pu répondre à cette remarque car j’en avais le souffle coupé. Mais plus tard j’ai perçu dans cette affirmation trois hypothèses implicites :

1) la dépression était prédéterminée et je n’aurais donc pas pu la prévenir,

2) elle est arrivée pour mon bien même si elle était insupportable,

3) le but spirituel derrière cette expérience était de faire de moi une meilleure enseignante et accompagnante pour d’autres personnes.

Ce dernier point m’accordait instantanément un statut de martyr ! Ce qui s’est donc vraiment passé, c’est que je me suis sacrifiée et j’ai traversé l’enfer pour le bien des autres ? Fichtre ! Plutôt flatteur de se trouver sur un piédestal de cette façon … mais je soupçonne que l’équilibre est un peu bancal, perchée là-haut.

Ce qui m’interpelle dans ces trois hypothèses est le fossé si grand entre la façon dont je me sentais dans cette expérience, et la vérité spirituelle « réelle ». Ce que j’avais franchement mal vécu était « réellement » une bonne chose ? Ce que j’aurais voulu surtout éviter était « réellement » quelque chose de prédéterminé ? Ce que j’ai traversé pendant cette dépression comme une épreuve personnelle était « réellement » quelque chose que je me suis donné de vivre, pour devenir une meilleure enseignante pour les autres ? La colère, la tristesse et le désarroi que j’ai ressenti après ce qui m’est arrivée n’étaient donc que l’expression de mon égo qui ne parvenait pas à s’abandonner à l’ordre divin ?

Cet exemple désigne une façon générale de raisonner, qui peut s’appliquer à toutes sortes de situations. La tendance globale consiste à regarder un événement ou une situation qui semble à première vue dramatique, tragique ou absurde, et de l’apaiser à l’aide d’un principe spirituel qui dit que « les choses se passent toujours comme elles doivent se passer » ou que « il y a un ordre divin qui gouverne les événements, donc à un niveau plus profond tout va bien ».

Que faire de cette approche qui veut arrondir les angles de cette façon ? La notion que tout est prédéterminé et se déroule selon une volonté divine ne peut pas être réfuté sur un fondement logique. Il s’agit d’une allégation métaphysique irréfutable, qui peut être ni démentie (ni confirmée !) par des preuves empiriques. Cependant, il contredit notre sentiment profond d’avoir une influence sur nos vies, d’avoir un libre arbitre et le pouvoir de choisir. La notion que « tout est à sa place » ou que « tout est comme il est sensé être » est souvent en opposition avec notre vécu réel dans le quotidien.

Dès lors qu’un principe spirituel est clairement contradictoire à notre bon sens, à nos ressentis instinctifs, pour moi cela fait sonner le signal d’alarme. J’estime que la vraie spiritualité est tout à fait compatible avec notre instinct naturel et notre intuition. Par ailleurs, je crois que c’est même à travers notre nature intuitive que nous pouvons entrer en contact avec notre âme. Au-delà de notre esprit et des idéologies qu’il élabore, c’est le cœur, le siège de nos ressentis et de nos intuitions, qui constitue le portail vers la vérité spirituelle. Lorsqu’il y a un écart important entre ce que nous ressentons sincèrement comme étant juste et bon, et ce qu’un enseignement spirituel déclare juste et bon, je pencherais toujours en faveur du ressenti humain comme véritable pierre angulaire. J’estime également que l’air complaisant et supérieur avec lequel de telles affirmations spirituelles contre-intuitives sont souvent amenées n’a rien de bénéfique…

Mais alors qu’en est-il ? Si les choses ne sont pas prédéterminées, s’il n’y a pas de sens profond derrière tout ce qui arrive, la vie n’est-elle rien d’autre qu’un jeu de coïncidences ? N’y a t-il donc aucun dessein plus grand, aucun objectif derrière tout cela ? Et si tout est libre et ouvert, et que l’on croit toujours en Dieu, pourquoi Dieu autorise t-il autant de souffrance et de douleur ? Quelle serait l’explication à cela ?

J’aimerais proposer qu’il y ait de profondes raisons spirituelles pour lesquelles les choses arrivent, mais que tout ce qui arrive n’est pas forcément juste et bon. Il y a une raison pour tout, mais cela n’implique pas que cela devait arriver. A mes yeux il y a une différence entre le fait d’accepter qu’il y ait une logique spirituelle derrière les événements qui ont lieu, et le fait de croire à la prédestination. Il y a effectivement des lois spirituelles qui s’opèrent dans nos vies; mais elles ne s’opposent pas à notre libre arbitre.

Afin de clarifier mon hypothèse, je vais l’appliquer à l’exemple précédent. Ma dépression a clairement été engendrée par des peurs et des croyances négatives que j’entretenais. J’estime que cela fait partie du but de mon âme que de ramener ces peurs et croyances négatives à la surface de ma conscience à un moment donné, afin qu’elles puissent être guéries. Mais cela ne signifie en rien que les choses devaient arriver exactement de la manière dont elles sont arrivées, ou que je n’avais aucun choix concernant ce qui arrivait dans ma vie.

Je me souviens clairement, avant que la dépression ne soit vraiment installée (j’ai du être hospitalisée), avoir reçu plusieurs signaux d’alarme, notamment de la part de mon corps. Ces signaux m’ont alertée sur mon niveau de stress et mon besoin de ralentir. Le fait que je n’ai pas vraiment écouté, n’était pas prédestiné. Il existe une explication pour le fait que je n’ai pas agi en fonction de mes ressenti intuitifs et les alertes de mon corps : j’avais peur d’échouer, j’avais peur de dire non aux gens, car j’accordais de l’importance à leur reconnaissance et je craignais d’être rejetée. Ceci explique pourquoi je n’ai pas freiné à temps. Cependant, même s’il y avait des raisons, cela restait mon choix. Le simple fait que j’étais consciente de ces signaux et pressentiments signifie que j’avais de la possibilité de faire des choix.

Avec le recul, il est évident que je n’ai pas fait les bons choix. Or, il n’est pas utile de se reprocher sans cesse les mauvais choix du passé. Se reprocher sévèrement des choses crée un sentiment de culpabilité, qui est destructeur et contre-productif (et là je parle d’expérience personnelle). Se juger ne s’avère pas très constructif. A l’inverse, dire que je ne pouvais rien y faire car cela devait arriver serait en quelque sorte aller à l’autre extrême ; ce serait du déni pur.

Il n’y a pas de moyen de contourner le fait que j’aurais pu faire d’autres choix. La meilleure façon de regarder cette expérience est avec compassion et douceur. En étant indulgent avec soi, on s’accueille en tant qu’être humain faillible, et au final cela facilite la possibilité d’apprendre de nos erreurs. En parvenant à se pardonner, nous pouvons considérer les écueils du passé comme de précieuses leçons qui nous permettent d’acquérir des connaissances et de faire de meilleurs choix dans l’avenir. De cette manière, des situations tragiques peuvent devenir des expériences sensées et instructives, non pas parce qu’elles sont bonnes ou désirables en soi (elles ne le sont souvent pas), mais parce que l’on est prêt à en tirer une leçon et même à en être transformés. Ainsi, le fait que quelque chose soit spirituel ou non n’est pas déterminé par la nature des événements eux-mêmes, mais par la manière que l’on a de les vivre et les interpréter.

De cette manière, le libre arbitre et un certain degré de prédestination peuvent être réconciliés. Imaginez que votre âme a souhaité vivre certaines expériences dans cette vie. C’est pourquoi elle a choisi de se confronter à certains défis, qui étaient en quelque sorte préprogrammés dans votre chemin de vie. Les personnes que vous rencontrez, les opportunités et les échecs que vous vivez, sont peut-être déterminés en amont.

Mais la question fondamentale est celle-ci : comment nous, l’être humain avec la liberté de choisir, réagit à ces rencontres et situations, et jusqu’à quel degré décelons-nous un sens ou un objectif derrière ce qui nous arrive. Cela n’est pas déterminé d’avance, et c’est le but ultime de notre âme : d’accueillir les leçons inhérentes à ces défis avec de l’amour et de l’acceptation. Par conséquent, nous pourrons faire des choix différents dans l’avenir et attirer des rencontres et des situations plus positives dans nos vies, éliminant ainsi le besoin de revivre les mêmes épreuves plusieurs fois.

Il est souvent difficile de réagir aux plus grandes épreuves de la vie avec confiance et acceptation. C’est pour cela que je dis que c’est le but ultime de notre âme. C’est souvent un travail considérable de reconnaitre la valeur d’une expérience dans laquelle nous avons vécu un sentiment profond de perte ou de rejet. La résistance et le désespoir sont des sentiments tout à fait normaux, et humains. Cependant je crois c’est est là que réside l’invitation la plus importante de nos âmes : d’accueillir même la partie la plus sombre de notre vie avec compréhension et douceur, non pas parce que c’est « très bien comme ca », mais parce que le fait d’accueillir l’expérience et d’y donner du sens est notre seule issue. C’est le seul chemin pour retrouver la lumière.

Lorsque j’étais en train de vivre ma dépression psychotique, je ne pouvais donner aucun sens ou signification à ce que je vivais. C’était une expérience cauchemardesque pour mes proches également. On a fini par m’emmener, contre ma volonté, à l’hôpital psychiatrique. C’est là que ma convalescence a commencée. Une fois que je m’en suis remise, j’ai découvert ce que c’est lorsqu’une grande souffrance porte ses fruits. Dès que je me suis retourné vers la lumière et que j’avais retrouvé l’envie de vivre, j’ai ressenti une joie profonde et j’ai remarqué plus que jamais toute l’abondance présente dans ma vie. Ce qui m’était acquis auparavant est devenu une source d’émerveillement et de profonde gratitude. Parfois je m’arrêtais devant ma maison en rentrant des courses, émerveillée devant le fait qu’il y avait cet endroit pour moi sur terre, où je pouvais vivre avec les deux personnes que j’aimais le plus au monde, mon mari et ma fille. J’étais bouleversée par l’attention et le soutien sincère que mon entourage m’accordait ; ceux qui jusqu’à là étaient de simples connaissances sont devenus de vrais amis intimes. Non seulement l’effondrement que j’ai vécu à travers la psychose m’a donné une nouvelle appréciation pour des choses, mais il m’a apporté de profondes compréhensions qui m’ont permis de vivre désormais avec moins de peurs et plus d’épanouissement.

Quelques années plus tard, j’ai écrit un livre sur la nuit noire de l’âme, qui m’a aidé à intégrer plus pleinement cette expérience, avec le bénéfice du recul. Une fois mon livre publié (en hollandais – j’espère le publier en anglais à la fin de l’année et ensuite en français), j’ai reçu des lettres de personnes qui se sont reconnues dans mon histoire et qui se sentaient soutenues et réconfortées par mon livre. Ainsi, la nuit noire de mon âme a pris plus de sens. Progressivement, je vois cette expérience terrible d’un autre regard : celui de la guérison et du sens. Cependant, cela ne signifie pas que cela « devait arriver » ou que c’était « en réalité » une bonne chose.

Est ce que tout est comme il doit être ? Est-ce que les choses sont très bien comme elles sont ? Non! Il y a beaucoup de souffrance et de tragédie sur terre. Il me semble que nous attirons des situations négatives dans nos vies afin de prendre conscience de la négativité en nous (colère, peur, méfiance…). Ces situations sont peut-être en partie préprogrammées. Mais le but derrière toutes ces épreuves est que nous fassions d’autres choix dans l’avenir, afin de nous libérer de notre négativité et de cesser de l’attirer dans nos vies.

Les événements douloureux ou tragiques n’ont pas en soi de la valeur ou du mérite ; ils ne peuvent en prendre que lorsqu’un être humain a le courage et la clarté d’esprit d’y voir du sens et d’en être transformé. Nous avons le choix dans notre façon de réagir « à ce qui est ». Nous avons le potentiel de transformer la négativité et la douleur par notre attitude intérieure, et de rendre nos vies plus légères et joyeuses pour nous-mêmes et pour d’autres. Voici le véritable sens de la spiritualité. L’ordre divin que nous cherchons si ardemment derrière les événements extérieurs de nos vies ne demeure pas à l’extérieur de nous. Nous devons le créer nous-mêmes : voici notre mission en tant que les enfants libres de Dieu.

www.jeshua.net

© Pamela Kribbe

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