La merveille, merveille des merveilles
Il n’existe rien en dehors de la conscience. Rien de séparé de la conscience.
Mais peut-être la conscience est-elle divisée par ce qu’elle contient ? Peut-être la conscience est-elle déchirée, divisée, séparée d’elle-même ? Toute conscience, en étant “conscience de”, n’implique-t-elle pas une différence indépassable ?
Abhinavagupta répond, en substance, dans sa Grande Méditation :
L’idée d’une division dans la conscience ne peut pas non plus être prouvée. En effet, dans la conscience, qui n’est que lumière/manifestation, les ‘différences’ engendrées par des entités autres que la conscience, c’est-à-dire des choses qui seraient plus que la seule et unique conscience, sont nécessairement autres que manifestes, puisqu’elles ne sont pas la Lumière/manifestation qu’est la conscience. Il s’ensuite fatalement que ces différences intérieures à la conscience ne sont pas conscience. Dans ce cas, comment pouvez-vous affirmer qu’elles existent ? Elles ne se manifestent pas ; ou alors, elles ne sont que des concepts dans la conscience.
Et si ces objets, ces différences, sont bel et bien conscience, alors elles peuvent certes apparaître, et nous pouvons en parler. Mais, dans ce cas, elles ne peuvent être autre chose que conscience, l’acte même de leur manifestation. Les rayon du soleil ne sont que lumière, sans quoi ils ne seraient rayons ni soleil.
La seule explication aux différences est donc que c’est la conscience elle-même qui se manifeste comme divisée, mais sans se diviser en elle-même, sans quoi cette division elle-même ne pourrait se manifester, ni être, ni exister, ni apparaître, ni même être illusion, concept, imagination ou n’importe quoi d’autre.
La conscience n’est donc pas divisée par les objets qu’elle manifeste en son sein.
Plus encore : la conscience reste une juste dans sa manifestation de la dualité. Elle n’est pas séparée des différences, bien qu’elle englobe et dépasse ces différences.
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Elle se révèle jusque dans son absence et s’absente au moment même de sa pleine présence.
Voilà pourquoi la conscience est dite “libre” et source d’émerveillement, de joie et d’ivresse pour elle-même, et pour chacun des individus en qui elle multiplie son unité primordiale.
C’est en ce fond frémissant qu’il s’agit pour moi (le Moi qui dit “moi” en vous, en nous) de replonger. Encore et encore, et encore. Et encore. A jamais.
C’est comme le passage de l’écoute d’une mélodie à l’écoute de son arrière-plan. Revenir au murmure, au silence, à l’au-delà, si loin qu’il n’est plus ailleurs mais au cœur de tout bruit comme de toute parole.
La conscience est généreuse, la merveille des merveilles, l’extase à portée de chaque instant.
Les choses ne s’ajoutent pas à la conscience. Elles ne sont pas DANS la conscience. Elles SONT conscience, lumière, présence, acte d’être, extase de s’éprouver sans jamais pouvoir se prouver en rien de limité ni de définitif.
Les choses ne cachent donc pas la lumière qu’elles sont. Et pourtant : si, comme un joyau enveloppé dans son propre éclat. Elle se révèle en se cachant, se cache dans son apparaître même.
Nourri de ce pain de vie, il n’y a plus qu’à s’abandonner en éternelle gratitude.
L’artiste, c’est elle : la conscience, la déesse, le danseur, le maître des saveurs et des émotions, l’origine, la moelle et la fin de toutes choses. L’un qui se multiplie en unité, qui s’unifie en des multiplicités toujours plus multiples et, pourtant, à jamais plus fortes en unité.
Elle est le plus haut et le plus bas. Nul ne peut s’élever si haut qu’il ne la découvre encore plus haute. Nul ne peut s’abaisser si bas qu’il ne la trouve encore plus humble.
Elle est avant l’avant, après l’après, au centre du centre, plus une que toute unité, plus différente encore que toute différence, plus éloignée que le plus lointain, plus intime que le plus proche.
Inépuisable, elle épuise toutes les langues en les fécondant des gouttes de son océan bouillant. Insatiable, elle n’en finit jamais de créer et d’engloutir, de donner et de reprendre, de s’oublier et de se réveiller. Son existence est un jeûne perpétuelle, une grossesse de chaque instant et une imprenable virginité.
La merveille des merveilles.
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