Sommes-nous tous télépathes

Sommes-nous tous télépathes

L’un pense à une chanson, l’autre se met à la siffloter. Une femme se réveille en sueur, persuadée que son compagnon a eu un accident et, une heure plus tard, l’hôpital l’appelle. Comment expliquer ces situations où des personnes semblent communiquer à distance ?

« Caroline, mon amie, et moi vivons à deux cents kilomètres l’un de l’autre, pourtant, je la sens toujours à mes côtés, et c’est pareil pour elle, confie Nicolas, 34 ans. Parfois, je l’entends m’appeler, et immédiatement le téléphone sonne : c’est elle. Le plus curieux : un jour, nous nous étions donné rendez-vous à Lyon, mon portable était tombé en panne, mais nous nous sommes tout de même retrouvés. »

« La télépathie fait partie de ma relation au quotidien avec Ludovic, mon mari, assure Catherine Labbé1, coach et praticienne en reiki, une thérapie énergétique d’origine japonaise. Je réponds souvent à ses questions avant qu’il me les pose. Récemment, un matin, alors que tout allait bien, j’ai éprouvé une profonde tristesse. Un peu plus tard, il m’appelle et me confie avoir été triste au point de pleurer. Auparavant, j’étais en fin de grossesse, il me téléphone, inquiet pour moi, et me dit ressentir de fortes douleurs dans le ventre et les reins : je venais d’avoir les premières contractions. »

Pour Catherine Labbé, l’existence de la télépathie ne fait aucun doute. Elle accompagne des couples qui vivent ce lien où la différence entre les « moi » s’abolit et ne comprennent pas ce qui leur arrive. « Souvent des individus plutôt sceptiques, pas forcément ouverts à la spiritualité et aux expériences paranormales, précise-t-elle. Ils sont dérangés par cette proximité, cette connexion permanente qu’ils vivent comme une effraction dans leur esprit et leur chair, au point parfois d’avoir des difficultés à vivre ensemble. »

Une synchronicité pas si étonnante

La télépathie se présente sous différentes modalités. Certaines personnes captent surtout des pensées, d’autres des images, d’autres encore des sensations. L’un pense à une chanson, l’autre se met à la chanter. L’un a une phrase sur le bout de la langue, l’autre l’énonce. Elle a envie de voir un film, il lui propose d’y aller sans qu’elle ait rien dit. Les esprits critiques rétorqueront : « Si nous avons le même style de pensée, d’habitudes, les mêmes centres d’intérêt, les mêmes références intellectuelles, les mêmes repères culturels, nous allons régulièrement être synchrones, rien d’étonnant à cela. » Un tempérament empathique nous prédispose à éprouver dans notre chair les sensations et les émotions de l’autre, c’est vrai.

Mais comment expliquer le message reçu en rêve par Samia, 30 ans ? « Adolescente, je suis tombée amoureuse d’un garçon avec qui je sentais une connexion de l’ordre de la magie. Notre histoire n’a duré que deux ans. Pourtant, il y a quelques années, une nuit, un rêve me prévient qu’il vient d’avoir un grave accident de voiture et qu’il cherche de l’aide. Le lendemain matin, j’appelle ses parents et sa sœur, avec qui j’étais restée en contact. Personne n’a de nouvelles de lui. Je leur raconte mon rêve, avec tous les détails nécessaires pour le localiser. Heureusement, ils ne m’ont pas prise pour une folle. Ils ont appelé la police : sa voiture avait basculé au fond d’un ravin, mais il avait survécu à ses blessures. Un détail : plus de mille kilomètres nous séparaient et je ne connaissais pas du tout les environs de son domicile, que j’ai pourtant décrits. » Claudia, 37 ans, a vécu la même expérience avec Paul, son compagnon : « Un soir que je m’étais assoupie devant la télé, je me réveille en sueur. Je me dis : “Sa voiture a quitté la route, il est blessé, et il tente d’entrer en contact avec moi.” Je compose son numéro, pas de réponse. Une heure plus tard, l’hôpital m’appelle. Par chance, il s’en est sorti sans séquelles. »

Un autre type de lien existe

La psychologue Sabrina Philippe, auteure de Tu verras, les âmes se retrouvent toujours quelque part (Eyrolles), a recueilli de nombreux témoignages de ce genre. Pour elle, il est urgent de revoir notre conception de l’homme, de sa physiologie, et d’accepter que, au-delà de la dimension psychologique consciente des rapports humains, il existe un autre type de lien, plus subtil, énergétique : « Malheureusement, tout ce qui ne s’explique pas scientifiquement est rejeté. » Ce sont pourtant les avancées de la science qui ont fait germer l’idée de communication télépathique. En effet, le mot « télépathie » (du grec têle, « à distance, ce qui vient de loin dans l’espace et le temps », et pathos, « émotion, souffrance, ce qui nous touche ») est apparu dans le langage courant à la fin du XIXe siècle, comme le téléphone, le télégraphe, la radio, ces objets qui permettent de transmettre des messages à des milliers de kilomètres.

C’est aussi à cette époque que la psychanalyse a pris son essor. Comme beaucoup de scientifiques et d’intellectuels de son temps, Freud s’est intéressé à la télépathie. Il a même rédigé un essai, Rêve et télépathie (Œuvres complètes, vol. XVI, PUF), pour en conclure que ce phénomène n’est qu’une illusion : « Cela serait un grand contentement de pouvoir me convaincre, par des observations irréprochables, de l’existence de processus télépathiques, mais les communications à ce sujet sont bien trop insuffisantes pour justifier une telle décision », écrit-il. En 1913, son disciple, le psychanalyste Sandor Ferenczi, passionné par les phénomènes hors norme, tenta de démontrer la réalité de la transmission de pensée avec une jeune médium, en vain. Aujourd’hui, de nombreux thérapeutes n’ont aucune réticence à avouer qu’il leur arrive fréquemment de percevoir en séance une maladie que le patient ignore encore, ou bien de visualiser des scènes de son enfance. En effet, le transfert, ce lien parfois passionnel qui s’établit entre le patient et son thérapeute, abolit les frontières psychiques. « La transmission de pensée est pour nous, psychanalystes, un fait si quotidien, si familier, que nous n’y pensons même plus », considérait, dans les années 1980, la psychanalyste Michèle Montrelay, proche de Jacques Lacan, dans la revue Confrontation (automne 1983).

Une sensibilité accrue en cas de danger

La grande pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto n’hésitait pas à affirmer, en se basant sur son expérience, que les enfants sont télépathes. Et que le duo mère-nourrisson communique télépathiquement. « La télépathie entre la mère et l’enfant est bien connue de toutes les mamans, écrivait-elle dans La Cause des enfants (Pocket, “Évolution”). Prenons une femme qui dort très bien. Il suffit que son bébé remue dans la chambre voisine, elle l’entend, alors qu’aucun autre bruit ne l’alerte. Beaucoup de mères parlent à leur fœtus et elles ont raison. » Selon la psychanalyste Djohar Si Ahmed, qui travaille sur les phénomènes psychiques exceptionnels, la télépathie ne serait d’ailleurs rien d’autre que les retrouvailles avec une fonction psychique de la première enfance, une sensorialité primitive disparue.

Mais cette sensibilité extrasensorielle qui relie une personne à sa mère – ou à l’adulte qui a endossé ce rôle – semble aussi perdurer plus intensément chez certains. Pour se manifester avec acuité en cas de danger. « Il y a deux ans, j’ai ressenti des douleurs thoraciques violentes, se souvient Caroline, 29 ans. Je me précipite aux urgences, où le médecin constate des anomalies de l’électrocardiogramme. À huit cents kilomètres, ma mère faisait un infarctus. Je n’étais pas au courant, évidemment. Elle a pu être prise en charge, et quand l’équipe soignante m’a appelée pour me prévenir et me rassurer, mon électrocardiogramme est revenu à la normale. » « Ma grand-mère, qui m’a élevée, est décédée l’année de mes 15 ans, rapporte Julie, 42 ans. À un moment, sans raison, je me suis dit : “Elle est partie”, et j’ai commencé à pleurer. Je précise qu’elle était en bonne santé. Puis le téléphone a sonné : elle avait fait une chute mortelle. »

Peut-on développer cette intuition ?

Comment les idées, les images, les sensations se transmettent-elles ? Par quel circuit ? Quels canaux ? Nul n’est capable de le dire. Le biologiste Rupert Sheldrake, très intéressé par la communication à distance, a constaté, comme les psys, qu’elle se produisait statistiquement bien davantage entre individus émotionnellement liés. Une observation notée dès les années 1920 par René Warcollier, un ingénieur chimiste passionné par la télépathie. Est-ce cette proximité affective qui explique les résultats significatifs obtenus par Joseph Banks Rhine, pionnier de la parapsychologie, des années 1930 à la fin des années 1960, à l’université Duke, en Caroline du Nord, avec un jeu de cartes spécial ? Un sujet devait deviner celle que l’expérimentateur avait tirée, ou bien dans quel ordre les cartes avaient été tirées. Les expériences de Rhine ont souvent été reproduites dans des laboratoires universitaires avec le même succès – sans pourtant être validées par les autorités scientifiques. Dans les années 2000, l’université de Fribourg, en Allemagne, a mis au point un test original : une personne devait deviner les intentions d’un inconnu à son égard. Là encore, les résultats se sont révélés significatifs. Il existe même des stages pour retrouver cette sensorialité primitive, au-delà des limites du moi. « J’ai vu des personnes peu prédisposées à ce mode de communication s’ouvrir et faire d’énormes progrès, témoigne Catherine Labbé. Il n’y a pas réellement de techniques pour y parvenir. C’est plutôt une intention, une volonté de se connecter à l’autre, en se concentrant, en se mettant en méditation, en position d’écoute. »

Si l’espoir de lire à livre ouvert en l’autre sans qu’il puisse rien nous dissimuler participe de l’utopie et du fantasme de toute-puissance, la communication à distance ne semble pas relever de l’illusion. Même si aucune hypothèse satisfaisante n’est en mesure de l’expliquer à l’heure actuelle. N’oublions pas que, avant l’invention des instruments de mesure et d’observation modernes, le bon sens était de poser que la Terre est plate et immobile, tandis que le Soleil n’est qu’une toute petite boule jaune.

1. Catherine Labbé, auteure avec Ludovic Labbé des Flammes jumelles (Exergue).

Source : http://www.psychologies.com/

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